Dominique Lanni – Qu’est-ce qui a été à l’origine de C’est là que mon nombril est enterré ?
Béatrice Bienville – Le titre de la pièce vient d’un proverbe créole Sé la nombril mwen téré qui veut dire C’est là que mon nombril est enterré, c’est là que sont mes racines. Avec une amie, un été, on avait commencé à interviewer et filmer la génération de nos parents et grands-parents sur leur enfance en Guadeloupe, dans l’idée de réaliser un documentaire. C’est une phrase qu’on nous a dit lors des entretiens, et elle m’a parlé très fort. Elle venait répondre à un besoin d’identité, de centre, d’une sensation d’être paumée que je traversais à ce moment, et sans doute toujours un peu. À la question est-que je suis française ou guadeloupéenne, je trouve que c’est une belle réponse, cette image d’avoir mon nombril enterré là-bas, ancré dans la terre d’une île. Une île qu’on peut être amenée à quitter sans qu’elle ne nous quitte jamais vraiment.
D.L. – Combien de temps t’a demandé sa composition ?
B.B. – J’ai pris deux mois pour écrire le premier jet, et ensuite plus d’un an pour le retravailler, et me laisser du temps pour avoir plus de recul sur le texte, le faire lire et essayer de l’améliorer. L’été précédent on avait tourné les interviews, et j’avais tapé à l’ordinateur le script de tous ces témoignages. C’est de ce matériau documentaire que je suis partie pour écrire cette histoire, avant de rajouter d’autres couches, sur le récit historique, la fiction, la poésie, l’onirisme, l’humour aussi. J’ai écrit le premier jet l’été d’après, assez rapidement, après avoir lu pendant toutes l’année beaucoup de choses sur l’histoire de la Guadeloupe ou des Caraïbes. Au fur et à mesure des retours de comités de lectures ou de proches, j’ai retravaillé la pièce pendant plus d’un an. Mais j’ai toujours du mal à trouver un texte fini, et sans l’édition je serais capable de continuer à la modifier indéfiniment !
D.L. – Quelle est ta préoccupation majeure dans ton travail d’écriture ?
B.B. – Dans mon travail d’écriture, le plus important c’est de raconter des histoires, souvent que j’aurais moi-même envie qu’on me raconte, de faire des fictions qui proposent plein de choses pour le plateau. Je veille à écrire des textes qui laissent de la place à l’imaginaire des lecteurices, des comédiens et comédiennes, des metteurs et metteuses en scène qui auront envie de s’en emparer. Je ne travaille pas particulièrement la langue, qui vient comme elle vient, mais je me relis beaucoup à voix haute pour en tester l’oralité. Et j’aime proposer des histoires, des fictions, des dialogues forts, j’aime naviguer entre les genres, et faire un melting pot dans mon texte, que ça rhizome.
D.L. – Des livres à conseiller pour aller plus loin ?
B.B. – Les bandes dessinées de Jessica Oublié, Péyi en nous et Toxiques Tropiques, et un recueil de Suzanne Cézaire, Le grand Camouflage. Et écouter Meryl, qui est une rappeuse martiniquaise incroyable, et regarder ses clips !